Interviews

La médecine de demain

Interview de Joël de Rosnay par le quotidien Sud Ouest - 9 Janvier 2018

Joël de Rosnay, scientifique, prospectiviste et conseiller à la Cité des sciences de La Villette à Paris, réfléchit sur les défis de la santé de demain. Forcément connectée, donc augmentée


Futurologue. Le docteur ès sciences, Joël de Rosnay n’a jamais désarmé, face à son propre vieillissement. Mauricien, il est né en 1937, pratique le surf régulièrement sur la côte basque, la méditation, la musculation, dîne frugal de l’alimentation biologique et adaptée. Bref, il est un modèle à lui tout seul. En plus, il pense le monde. Visionnaire, il avait prédit dans les années 1980 « la révolution du micro-ordinateur personnel » et l’apparition d’un « système nerveux mondial ». Aujourd’hui, Joël de Rosnay est plus que jamais écouté, lorsqu’il évoque « l’uberisation de la santé » ou « l’hyperhumanisme ».

Sud-Ouest : Nous vivons une transition de notre modèle de santé. Le système tel qu’il était conçu dans les années 1950 ne fonctionne plus aussi bien. Comment peut-on sortir de l’impasse ?


Joël de Rosnay : En effet, nous sommes face à de grands changements. Le premier concerne « le patient éclairé » ou « augmenté », le second s’attache aux technologies de la santé, la santé connectée, et le troisième à l’épigénétique, lequel tend à prouver que le comportement humain agit sur l’expression des gènes. Ces trois éléments créent une possibilité nouvelle de prévention mesurable et de responsabilisation des gens face à leur santé, ce que commence à comprendre l’industrie pharmaceutique.


Sud-Ouest : Qu’est-ce que vous appelez « patient éclairé » ?


Joël de Rosnay : Les patients éclairés ce sont des gens de plus en plus connectés sur les réseaux sociaux et qui peuvent aller chercher des infos sur leur santé. Ils discutent ensemble, échangent et sont de plus en plus experts. De nombreux médecins assurent aujourd’hui qu’ils aiment avoir à faire à des patients qui leur posent les bonnes questions, même s’ils peuvent aller jusqu’à contredire leurs ordonnances.


Sud-Ouest : Quel est le rôle du numérique et de l’industrie dans cette transition de la santé ?


Joël de Rosnay : Les applications santé se multiplient aujourd’hui de façon exponentielle. Les outils sont non seulement portables mais mettables. Comme des montres, par exemple, qui mesurent un certain nombre de paramètres sur la peau, permettant de visualiser un tableau de bord santé personnalisé, que l’on pourra d’ailleurs envoyer à son médecin.

Sud-Ouest : Clairement, nos comportements vont changer. La relation entre le patient et le médecin sera plus horizontale, plus adulte ?


Joël de Rosnay : En effet. En clair, pour se maintenir en bonne santé, cinq comportements sont à respecter : l’exercice, la nutrition, la gestion du stress, le plaisir, l’harmonie sociale et professionnelle. Ces cinq comportements influencent nos gènes et font que certains ralentissent, s’inhibent, ou s’expriment encore plus. Nous pouvons en quelque sorte devenir les chefs d’orchestre de notre propre corps, le maintenir en bonne santé et freiner le vieillissement. La prévention n’est pas la privation, c’est un plaisir que de se faire du bien !


Sud-Ouest : Vous dites que l’industrie pharmaceutique a déjà pris conscience de cette évolution ?


Joël de Rosnay : Absolument, puisque l’industrie pharmaceutique évolue déjà vers des programmes de maintenance de la santé. Encore aujourd’hui, elle vit sur les marges réalisées par les ventes de médicaments prescrits par des médecins, pourtant on commence à voir que des groupes pharmaceutiques s’associent à des entreprises d’assurances et proposent des « pharmassurances » : soit des abonnements à des programmes permettant d’assurer une bonne santé.


Sud-Ouest : Dans le nouveau modèle de santé que vous proposez, vous évoquez le concept des 4P. De quoi s’agit-il ?

Joël de Rosnay : Médecine Personnalisée, Prédictive, Préventive, Participative. Il s’agit non pas de guérir quand on est malade, mais de ne pas tomber malade.


Sud-Ouest : Y a-t-il un risque d’uberisation de la santé ?


Joël de Rosnay : Des entreprises ont créé la désintermédiation des structures traditionnelles en offrant des services et des produits plus personnalisés, de manière plus rapide, face à des systèmes trop lourds, trop chers, trop complexes. Grâce au numérique, on peut rapprocher offre et demande. Ces entreprises de désintermédiation sont des disrupteurs qui inversent le modèle classique et traditionnel que nous connaissions. En santé aussi. Le risque existe.


Sud-Ouest : La santé fera-t-elle bon ménage avec l’intelligence artificielle ?


Joël de Rosnay : Avec l’intelligence artificielle (IA), on peut augmenter l’intelligence humaine. Aucun médecin ne peut lire et assimiler toutes les revues scientifiques, toutes les études, propres à soigner une pathologie. En revanche, qui peut corréler toutes les informations ? Watson, le programme d’intelligence artificielle conçu par IBM, et ce, en quelques minutes. On y vient. Le médecin de demain pourra être assisté par des outils du numérique ou de l’IA. Déjà beaucoup expérimentent, puisqu’on peut télécharger Watson sur son smartphone…


En conférence à Bordeaux le 2 février 2018
Joël de Rosnay est un invité majeur du premier Forum Santé et Avenir, organisé par « Sud Ouest », les 1er et 2 février, qui se tiendra à Kedge (Talence). Ce scientifique, prospectiviste et écrivain, donnera une conférence autour de cette question : « En quoi l’intelligence artificielle et le digital peuvent-ils donner une nouvelle espérance à l’homme ? » Cette conférence, à 15 heures, le 2 février est ouverte au public, elle intervient dans le cadre d’une table ronde sur le thème « Quel déploiement de l’intelligence artificielle et du digital pour améliorer la vie des citoyens ? Quel impact sur les politiques publiques ? » en présence d’Alain Juppé, maire de Bordeaux et Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine.