Articles sur le livre "La symphonie du vivant"

Pourquoi notre ADN ne détermine pas nos vies

Pourquoi notre ADN ne détermine pas nos vies

Avec le séquençage du génome humain s'était répandue l''idée que notre destin était en grande partie déterminé par notre code génétique. Mais les dernières découvertes de l'épigénétique ont montré que la réalité était bien plus complexe.


Dans son dernier essai, Joël de Rosnay explique comment l'environnement influe sur l'expression des gènes. Et élargit les découvertes issues de l'épigénétique au fonctionnement de la société. Article de Hugues de Jouvenel pour les Echos le 11 mai 2018

Si les généticiens ont pu jadis donner à penser que nous étions surdéterminés par nos gènes, Joël de Rosnay, avec un talent dont il a le secret, explique dans son dernier ouvrage la découverte de l'épigénétique, qui révèle au contraire combien nous pouvons nous-mêmes maîtriser le cours de nos existences. Puis, dans la deuxième partie de « La Symphonie du vivant », encore plus novatrice et originale, s'inspirant des mêmes découvertes, il montre que, si nous pouvons agir sur notre organisme, nous pouvons aussi le faire sur la société, bref comment « l'ADN sociétal » peut être modifié par le jeu complexe des acteurs qui la composent.

Commençons par la découverte de l'épigénétique. Nous nous souvenons d'une époque pas si éloignée durant laquelle les scientifiques s'étaient attelés avec succès à séquencer et décrypter l'ADN du génome humain . Dans le prolongement de ces recherches et de leur succès, s'était rapidement répandue l'idée que nous étions surdéterminés par notre code génétique. Mais une première limite à cette vision vint, explique Joël de Rosnay, de la découverte que l'ADN n'est pas imperméable aux influences extérieures , qu'il s'intègre dans « des machines-outils moléculaires » bien plus complexes qu'on ne l'imaginait.

La partition et la symphonie

Plus fondamentalement encore, notre programme ADN peut être « exprimé, inhibé ou modulé » par le comportement des êtres humains. En s'inspirant joliment de la « Neuvième Symphonie » de Beethoven, l'auteur écrit que « pour comprendre la différence entre génétique (la partition) et épigénétique (la symphonie), nul n'est besoin d'être mélomane » : « Nos gènes proposent des partitions sur lesquelles nous pouvons largement improviser notre 'symphonie' du vivant. ».

Le propos est largement illustré d'exemples choisis dans les domaines humain, animal et végétal. Ils illustrent comment les espèces, toutes dotées d'une certaine intelligence, évoluent en interdépendance avec leur environnement.

La suite du livre est composée de plusieurs chapitres de conseils pour « changer sa vie » que Joël de Rosnay résume en cinq mots-clefs : nutrition, exercice, antistress, plaisir et harmonie. C'est toujours intéressant, bien écrit, très largement fondé sur des exemples fort éclairants. Parfois, cependant, le propos pourra être perçu comme un peu agaçant, voire « donneur de leçons ».

Le chapitre V « Lamarck et Darwin, la réconciliation » mérite une lecture très attentive et n'est pas simple à résumer. L'auteur y rappelle que le débat entre l'inné et l'acquis est dépassé, que ce qui est acquis par une génération est transmis à la génération suivante.

De la compétition à la « coopétition »

Après cette analyse systémique mettant en évidence les innombrables interactions entre tous les éléments du corps humain et ceux de son environnement, l'auteur, de manière métaphorique, nous invite à une nouvelle représentation de la société : celle de « mèmes » (éléments culturels équivalents aux gènes) et de la « mémétique », qui appliquerait à « la culture humaine des concepts et des modèles provenant de la théorie de l'évolution » et permettrait de mieux analyser les « forces et flux, les éléments et les liens, qui représentent les bases du fonctionnement et de la construction des sociétés modernes ».

Soulignant qu'éléments et forces sont partiellement dépassés par « liens » et « flux », l'auteur en déduit que nous entrons dans une nouvelle ère : « A l'approche analytique, séquentielle et linéaire traditionnelle succède une approche fondée sur les interdépendances et les feedbacks [...]. A la compétition succède la 'coopétition' », mot-valise association coopération et compétition.

Il reprend alors l'idée d'ADN sociétal déjà évoquée dans son précédent livre, tout en soulignant une fois encore que les progrès scientifiques et techniques, s'ils contribuent utilement à notre compréhension du vivant, ne sauraient nous asservir mais plutôt nous autoriser d'être davantage acteurs d'un changement qui doit nous permettre de sceller une nouvelle alliance entre les hommes et la biosphère. Un long développement est consacré à Internet et aux réseaux sociaux, aux progrès et aux dangers qui y sont liés.

Les deux derniers chapitres tout à l'image de l'homme, partisan délibéré de la « pensée positive », sont à eux seuls un vibrant plaidoyer pour une nouvelle gouvernance et un recueil de propositions très concrètes pour l'action. Bravo au compositeur pour cette belle symphonie !